Le 28 septembre 2023, la chapelle Saint-Jean Baptiste de Val Cenis Lanslebourg était officiellement inaugurée après 3 années de restauration en présence de Père Geoffroy, d’Armelle Filliol, restauratrice, du président de l’association du patrimoine de Val Cenis Lanslebourg, Gilbert Suiffet, des artisans, de la Fondation du Patrimoine, de la Facim et du conseil départemental de la Savoie.
©Fabien Gravier
Le maire-délégué de Val Cenis Lanslebourg Fabien Gravier a livré un discours inédit que nous restituons intégralement ci-dessous:
"En quelques siècles d’existence, j’ai rarement vu autant de monde autour de moi… Me voilà bien entourée pour célébrer cette nouvelle cure de jouvence. Je ne peux que vous remercier d’être venus nombreux aujourd’hui. Il faut dire que je ne suis pas toute jeune, je ne saurais pas moi-même en quelle année je suis sortie de terre. Ma présence ici, à coté du ruisseau de Sainte Marie, n’est pas anodine. Ce cours d’eau aujourd’hui très calme peut devenir capricieux et sortir sans prévenir de son lit, beaucoup d’entre vous se souviennent certainement de sa dernière fureur, au siècle dernier. Il faut dire que ce ruisseau était jadis la colonne vertébrale du village de Lanslebourg. Les convictions religieuses pour certains, la superstition pour d’autres, ont donc conduit les habitants à se prémunir des colères de la nature en m’érigeant ici.
Je n’ai pas eu à me plaindre des soins apportés par les Languerins, j’ai été façonnée et entretenue au cours des siècles, ce qui m’a permis d’être régulièrement mentionnée dans des ouvrages. Je suis une première fois qualifiée d’oratoire en 1609, avant d’être promue chapelle en 1677 lors d’une visite pastorale. Les hommes sont revenus à mon chevet en 1700 pour une restauration complète et ont ajouté Saint Bon à mon patronyme en 1737. Les assauts du temps conduisirent la population à me rénover en 1811 puis en 1925.
Tout compte fait, grâce à tout ces bons soins, j’ai traversé les siècles pour me trouver au milieu de vous aujourd’hui. Ce n’est pas le cas de toutes mes amies qui se dressaient ça et là, à Lanslebourg et au Mont Cenis au 18ème siècle. Un document atteste la présence, en 1732, de 15 chapelles sur la commune. Les assauts du temps, les transformations du village, la guerre, la construction du barrage là-haut sur la montagne ont eu parfois raison de mes compagnes. Je suis pour ma part restée debout, les hommes craignant certainement un nouvel assaut du ruisseau, qui tout compte fait est peut-être devenu mon protecteur à son tour.
Ma dernière cure de jouvence datait donc d’une centaine d’année, il était temps ! Mes peintures étaient décrépies, mon tableau central terne, les hommes m’avaient même mise à nue, pour montrer mes pierres de construction, il parait que c’était la mode de l’époque. Trônant fièrement à l’entrée du seul quartier épargné par les ravages de la guerre, je voyais passer des habitants mais également des visiteurs de passage qui sont présents en masse hiver comme été maintenant au village. L’association pour le patrimoine de Lanslebourg, conduite par son président Gilbert, en lien avec le village, ou plutôt la commune de Val Cenis car c’est comme cela que l’on l’appelle maintenant, ont donc décidé de lancer ma rénovation.
Pour cette cure de jouvence, il a évidemment fallu de l’argent. La fondation pour le patrimoine, que je remercie ici, œuvre constamment au chevet des monuments comme moi. Elle a donc lancé une souscription et les habitants se sont mobilisés, humblement, chacun à hauteur de leurs moyens. Des gens de passage ont même participé, marqués peut-être par ma beauté ou simplement touchés par l’ampleur de la tâche. Comme Jean-Baptiste Damé en 1700 ou Mathieu Gravier en 1811, les hommes ont perpétué la tradition en versant au total 11 684 €, je tiens à les remercier particulièrement. Grâce à eux, les générations futures pourront encore me contempler. La Région Auvergne-Rhône-Alpes et le département de la Savoie ont également contribué à hauteur de 10 557 € au total à ma rénovation, moi modeste chapelle de montagne, j’en suis particulièrement touchée. La commune de Val Cenis a permis de boucler le financement avec une participation de 32 320 €, montrant s’il fallait encore le démontrer son attachement au patrimoine de ses villages. Ce sont donc plus de 50 000 € qui ont été investis pour moi, j’en serai presque gênée.
Pour cette cure de jouvence, il a évidemment fallu des artisans de qualité. Il n’est pas donné à tout le monde de s’inscrire dans la lignée des restaurateurs qui se sont succédés, il était hors de question de détériorer ce que mes bâtisseurs ont érigé pendant des siècles. L’entreprise Jacquet s’est attelée à mes façades, me rhabillant d’un crépi plus conforme à mon aspect original. L’entreprise Blanchon s’est occupée de mes voutes, redessinant mes formes originelles. L’entreprise Burdin a installé un éclairage électrique sublimant mes décors et une alarme, une vraie révolution pour moi mais il faut savoir vivre avec son temps ! Sophie De Lamar a redonné son éclat originel au tableau trônant sur mon hôtel, représentant le baptême du Christ, en référence à mon saint protecteur. Même l’entreprise Eiffage a eu pitié de mes pieds qui prenaient l’eau et a réalisé très récemment un drain. Certains particuliers ont spontanément œuvré sur les pièces de bois, décapant ma porte ou rénovant le dessus de mon hôtel. Enfin, et je crois que je lui dois beaucoup, Armelle Filliol a patiemment réalisé les décors intérieurs et la façade principale. Mon état de délabrement ne permettait pas de reproduire à l’identique mes décors, une précieuse photo de la famille Gagnière montrait cependant mon meilleur profil extérieur. C’est donc l’expérience d’Armelle, sa créativité, son talent, qui a permis de présager ce que j’étais au cours du temps. Il en a fallu de la patience pour redessiner, trait après trait, couleur après couleur, mon saint patron, l’agneau pascal, la colombe de la paix, mon ciel étoilé. J’ai assisté aux péripéties, aux doutes, mais surtout à l’émotion des visiteurs levant les yeux et découvrant mes voutes. Sans être certainement fidèle, je pense sincèrement ressembler à l’esprit de la chapelle que j’étais au 17ème siècle, au temps où les habitants venaient demander grâce ou implorer une guérison. Je veux remercier ici chaleureusement Armelle, ainsi que son complice Jean-Louis, qui ont pris soin de moi pendant de longues semaines avec un immense talent.
Me voilà prête pour affronter quelques siècles supplémentaires. Les temps ont bien changé, j’ai bien conscience que je suis devenu un monument, une œuvre d’art visitée plus pour ma beauté que pour ma sacralité. Qu’importe les raisons, je reçois avec plaisir tous les regards, toutes les émotions. Je reçois régulièrement la visite des guides de la FACIM qui distillent leurs explications passionnées sur mon histoire. Je contribue à ma façon à l’accueil des visiteurs de notre village et met en valeur le quartier du canton. Lanslebourg a bien changé, passant d’un village de paysans à une station de ski, les passants devant moi ont troqué les râteaux et faux d’antan pour de curieuses planches sur les épaules et des chaussures qui me semblent bien inconfortables. Je suis ce trait d’union entre les générations, entre les bâtisseurs d’hier et les restaurateurs d’aujourd’hui, entre les bienfaiteurs de jadis et les souscripteurs actuels. J’ai confiance et j’émets le souhait qu’il y aura encore, dans cette belle vallée, des habitants à mon chevet pour transmettre à nos enfants ce que nos ancêtres ont érigé.
Merci à toutes et à tous, ma porte vous restera constamment ouverte !"
La chapelle Saint Jean-Baptiste
